Toujours à Rishikesh ...
Namaskar,
L'Inde recèle bien des
surprises. Chaque jour qui passe est pour nous l'occasion d'élargir nos
connaissances sur la faune et la flore. Je dois avouer que nous sommes
tout spécialement préoccupés par la vie des insectes tant leur présence
est incontournable. Au rang des curiosités locales, nous avons tout
particulièrement été surpris par la variété inimaginable de nos amies
les araignées avec une nette préférence pour
l'araignée-sauteuse-naine-noire-à-bandes-blanches-et-à-grosses-mandibules
(en même temps il semblerait qu'ici toutes les variétés d'araignées
aient des mandibules disproportionnées :s ). Nous avons aussi été
passablement émus par la grosse-guêpe-orange-fluo-plutôt-agressive, les
fourmis-géantes, et leurs cousines plus chanceuses les
fourmis-géantes-volantes. Mais le moment fort de notre voyage reste
pour l'instant (et je l'espère pour longtemps) le cobra dressé du
charmeur de serpents (à vous couper les jambes) Et la liste n'est pas
exhaustive. Vous l'aurez compris le bestiaire de l'Inde dépasse
l'imagination des pauvres occidentaux que nous sommes.
Sinon donc, comme je vous disais précédemment nous sommes partis
avec Jean et Flo faire un tour de moto à Haridwar pour le coucher du
soleil (ville sacrée de l'Hindouisme à 25 km en aval de Rishikesh). Car
c'est à ce moment là qu'une foule de pélerins hindous (plusieurs
milliers) se réunissent sur les Ghats du bord du Gange pour honorer le
fleuve. Nous sommes donc arrivés là-bas, toutes motos pétaradantes afin
d'aller nous aussi honorer Mata Ganga (Mère Gange). Après un Pepsi pour
nous remettre l'estomac d'aplomb, nous sommes allés acheter pour 5
modiques roupies, un panier de roses et de fleurs diverses avec une
mèche à l'intérieur et quelques carrés de camphre. Nous nous sommes
dirigés vers les Ghats escortés par des Brahmanes vénaux, qui
désiraient sincèrement, moyennant finance, nous initier à la cérémonie.
Nous avons donc sauté à l'eau avec nos paniers fleuris (bucolique, non
?) et répété inlassablement les mantras à peine comprehensibles des
brahmanes zélés. Malgré la cohue ambiante, j'ai vraiment trouvé le
moment magique. J'ai eu un petit pincement au coeur quand j'ai vu mon
panier avec la petite flamme que j'avais allumé en son centre être
emporté par le courant du fleuve, même si je dois avouer qu'il a dû
couler 20 mètres plus loin ... J'ai ainsi demandé au Gange de s'assurer
de la prospérité de ma petite famille (mes grands-parents, mes
géniteurs, ma chère soeur n'ont plus de souci à se faire).
Mais bon, au final la prospérité a un coût, comme tout en Inde ... aussi modique qu'il soit. Mon mantraavadi
(réciteur de formules magiques) m'a alors fait remarqué que quand
j'avais promis de donner 50 roupies pour la récitation des formules
sacrées, il avait "omis" de mentionner que c'était par tête et qu'ils
étaient 5 avec lui .... grrrr .... j'ai finalement réussi à marchander
200 roupies pour le tout, légérement énervé. Ca c'est l'Inde du
quotidien, les indiens essayent de vous faire cracher pour n'importe
quoi en vous assurant toujours que c'est gratuit. Ici, la parole n'a
aucune valeur, c'est bon à savoir ... étrange paradoxe pour un pays où
la parole est considérée comme sacrée ... on est plus à un paradoxe
près ... Malgré cette petite déception typiquement indienne, la
cérémonie est grandiose et émouvante. Mais le parcours du combattant
n'est pas terminé pour autant, en remontant un autre brahmane nous
raquette encore quelques dizaines de roupies pour nous mettre un
bracelet de cordelettes et nous barbouiller de sindour et de safran
entre les deux yeux, à l'endroit - supposé - du tant recherché
troisième oeil.
Nous avons ensuite regagné les
motos, le coeur léger et le porte feuille aussi par la même occasion.
Le retour à Rishikesh s'est avéré des plus trépidants. Autant l'aller
s'était déroulé assez calmement (c'est relatif en Inde vu la
circulation), autant au retour j'étais content de n'être que passager.
La nuit commençait à tomber, et bien évidemment ici, les phares, on
connait pas, ou du moins on s'en sert pas ... Pour les véhicules qui
ont la chance d'en avoir et surtout de les utiliser, il faut encore que
les deux fonctionnent (il est très fréquent en effet de prendre un
camion ou un bus pour un scooter, pour s'apercevoir quand on commence à
distinguer le parechoc qu'il s'agit d'un 3 tonnes qui n'a qu'un phare
allumé). Sans compter les vélos, les charettes, les piétons, les gens
qui discutent (on ne pense jamais assez à tailler une bavette sur la
rocade toulousaine), les singes, et nos amies les vaches placides (qui
n'ont toujours pas de phares elles non plus), rajoutez à celaun ciel
des plus menaçant, zébré d'éclairs, la poussière de la route ... et
j'en passe. Je crois, avec le recul, que là aussi c'était un moment
très beatnick ... Finalement la pluie a attendu qu'on arrive à Rishikesh avant de tomber à bidons (ruelles de Rishikesh = mini torrents).
Un peu fatigués et un peu malades, nous décidons de rester quelques
jours de plus à Rishikesh pour récupérer. C'est l'occasion pour Florent
et moi-même de faire une superbe balade. On décide de partir à moto
découvrir un grand temple dédié à Shiva, perdu sur une montagne
derrière Rishikesh. Je suis toujours passager mais je profite ainsi
beaucoup plus du paysage. Celui-ci est somptueux. Nous traversons
plusieurs vallées très encaissées, toujours aussi verdoyantes. En toute
franchise, onne trouve pas de tels paysages même dans nos chères
pyrénées. Pendant un moment la route surplombe le Gange qui, ici,
ressemble plus à un énorme torrent qu'au vaste fleuve que l'on peut
voir à Bénarès. En nous enfonçant dans les vallées, on découvre des
ashrams à flanc de montagne, des pélerins qui se rendent au temple (20
km de montée tout de même !), des rizières, des temples ui surgissent
au dessus de la jungle. Un spectacle grandiose. Par moment, on devinait
même les hauts sommets himalayens entre deux vallées. Au bout d'une
petite heure de trajet, nous arrivons au village où se situe le temple
de Shiva. Ici, pas un seul blanc, que des Indiens, des pélerins, des
sadhus. Arrivés au temple, après avoir parcouru un dédale de pieuses
échoppes, des hindous viennent nous offrir du prasad (nourriture
consacrée, en général délicieuse : noix de coco, miel, lait et amandes
... rien à voir avec l'austère hostie chrétienne ... les dieux hindous
sont plutôt gourmands). Ils nous ont ensuite marqué le front avec du
sindour, toujours avec beaucoup de respect, en nous demandant d'où on
venait. Ils avaient l'air ravi de voir des français dans leur vallée
sacrée. Ensuite nous buvons un tchai dans un boui-boui local et nous
quittons rapidement les lieux pour éviter de rentrer avec la nuit.
Avant de repartir, nous croisons trois vieux sadhus à qui nous donnons
l'aumône (les sadhus ont renoncé à tout, ils sont errants et ne vivent
que des dons des fidèles). Comme me le fait remarquer Florent, il n'y a
qu'ici que l'on peut croiser de tels regards. Croiser le regard de
certains de ces sages errants est un cadeau d'une grande valeur. Sans
parler de leur sourire ...
En quittant le village, le vombrissement de
la moto était accompagné des cris des pélerins nous saluant :
"Namaste!", "Namaskar!", et autres "Hari Om!". La descente dans les
vallées encaissées et dans la jungle himalayenne est toute aussi
magnifique qu'à l'aller. Le retour nous réserva cependant une surprise.
A l'aller, nous avions remarqué parmi les pélerins qui descendaient du
temple à pied, un jeune garçon qui faisait route seul. Au retour nous
le dépassons à peine quelques centaines de mètres plus bas. Je fais
remarquer à Florent que ça me rend malade de voir ce jeune garçon
marcher pieds nus sur la route et les gravats au milieu de cette jungle
pour redescendre sur Rishikesh (15 km plus bas) alors que la nuit
menaçait de tomber. Et Florent me répond : "On n'a qu'à le prendre et
le descendre!". Aussitôt dit, aussitôt fait, un demi-tour et nous voilà
à sa hauteur pour lui proposer de le redescendre. En s'approchant on
remarque qu'il se tient d'une drôle de manière. Il n'arrive pas bien à
se situer, il a la tête baissée et le regard de travers. Il monte
difficilement sur le porte bagage refusant de s'asseoir sur la selle
avec nous. Ce garçon devait avoir quatorze ans et nous paraissait
malade ou déficient mental, malgré ses habits de brahmane. Tout au long
du trajet il reste penché sur le côté. A chaque cahot de la route on a
peur qu'il ne tombe, Florent fait attention de ne pas rouler trop
brusquement [Florent : une gageure sur cette route défoncée!]. Arrivés
à Laxman Jhula (quartier nord de Rishikesh), nous nous arrêtons pour le
déposer. Et là il nous demande, toujours sans relever la tête : "Laxman
Jhula ?" On lui répond par l'affirmative et il entreprend de descendre
de la moto. Visiblement c'est là qu'il se rendait. Comme il a un peu de
mal, je lui tend ma mainpour l'aider et il s'y appuie fortement. A ce
moment précis, Florent et moi-même réalisons que ce pauvre garçon n'est
absolument pas
déficient mental, mais simplement aveugle. Il devait être monté au
temple de Shiva et devait redescendre en ville, 20 kilomètres plus bas.
Au rythme auquel ce garçon descendait, il aurait passé la nuit et plus
sur cette route perdue, perchée au dessus du Gange, au beau milieu de
la jungle. Nous l'avons ensuite regardé s'éloigner en longeant les
échoppes éclairées de la ruelle ...
Bises à tous
Alex.